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Lunch atop a Skyscraper, 1932

Introduction

Le secteur de la construction est à la croisée des chemins. Il lui faut satisfaire des besoins en immobilier résidentiels et tertiaires qui sont immenses, notamment en raison de l’urbanisation et de la métropolisation qui touchent respectivement les pays émergents et les pays développés. Combler ce besoin sera d’autant plus difficile qu’il existe aujourd’hui de nouvelles contraintes. Parmi celles-ci, la question écologique est en première ligne lorsqu’on sait que la seule construction compte pour 22% du volume de déchets générés par an en Europe. Le faible pouvoir d’achat des demandeurs de logements dans les pays émergents est également une contrainte majeure. Il faut donc construire plus, mieux, et moins cher.
Malheureusement, la faiblesse des gains de productivité pourrait faire obstacle à cette ambition. En effet, dès les années 1960 des experts s’inquiétaient de la relative stagnation du secteur au regard du reste de l’économie. La situation n’a guère évolué. Une étude de Mc Kinsey sur les deux dernières décennies en France établit même que la productivité horaire du secteur de la construction aurait connu une baisse de 6% alors que les gains étaient de l’ordre de 87% dans le secteur manufacturier. L’appropriation des nouvelles technologies par les acteurs du secteur est donc une urgence absolue afin de générer les gains de productivités indispensables à la satisfaction des nouveaux besoins.
La structure du secteur est souvent avancée comme l’un des points d’explication récurrents de la faiblesse de l’investissement. La multiplication d’entreprises de petite taille opérant sur des zones géographiques limitées et sans intégration verticale apparaît comme une des raisons essentielles de l’incapacité à digérer voire susciter l’innovation. La fragmentation du secteur est à mettre en regard de la fragmentation des opérations immobilières et donc à la volonté d’urbanisation des pouvoirs publics. La multiplication d’opérations de petite taille tend à fragmenter les donneurs d’ordre et à les rendre plus conservateurs dans l’introduction d’innovations dont le coût pourrait être mieux amorti sur de plus larges ensembles.

Les producteurs de matériaux

L’innovation dans la construction débute avec les matériaux de construction. En effet, 2/3 de la dépense de recherche et développement liée à l’immobilier se concentrent sur les matériaux. Ces innovations visent d’abord le perfectionnement des matériaux déjà utilisés. Les travaux de recherche appliquée sur le ciment et le béton se multiplient pour le rendre toujours plus solide, léger et souple tout en limitant la consommation d’eau. La société austro-hongroise LiTraCon est par exemple à l’origine d’un béton en quelque sorte translucide dans lequel ont été insérés des fibres optiques. Grâce à elles, la lumière peut traverser un mur LiTraCon (jusqu’à une épaisseur de 20 mètres selon les tests). Le bois comme le promeut Woodeum a aussi un bel avenir devant lui notamment le Cross Laminated Timber, voiles de bois massifs assemblés à plis croisés qui forment des murs porteurs ou des planchers. Ces panneaux, préfabriqués et prédécoupés en usine présentent d’excellentes performances mécaniques, thermiques et acoustiques. Les chantiers étant organisés en filière sèche, ils sont environ deux fois plus rapides avec cinq fois moins de rotations de camions. Les innovations concernent également de nouveaux matériaux. Les avancées se concentrent sur les nanomatériaux. Il est désormais envisageable de créer des matériaux hybrides ajoutant aux propriétés du support comme le métal ou la céramique des propriétés de mémoire de forme ou hydrophobe. Ces matériaux ne participeront pas de la structure même des immeubles mais permettront de bâtir des vitres intelligentes ou des échangeurs thermiques.

Les architectes et ingénieristes

La construction consiste souvent à l’activité parallèle ou successive de différents corps de métier ce qui entraine des couts de coordination élevés et la multiplication du risque d’erreurs du fait de la non adéquation entre les structures et les réseaux notamment. Plusieurs études, National Institute of Standards and Technology (SITC) ou Tulacz and Armistead, ont estimé le gaspillage lié à la coordination des tâches, le déplacement et l’installation des outils et matériels à 25 à 50% des coûts totaux de construction. Dans le but de réduire ces gaspillages, des technologies numériques de visualisation haute qualité permettent l’élaboration de maquettes 3D qui comprend les différentes caractéristiques géométriques et des renseignements sur la nature des objets utilisés. Les maquettes 3D ne sont qu’une première étape avant d’assurer la coordination des interventions dans le cadre d’un processus de production intégré.
Celui-ci est labellisé Building Information Modeling or “BIM”. Il existe en réalité plusieurs niveaux de BIM dans un espace partagé (cloud), le stade ultime se caractérisant par un processus collaboratif dans lequel la maquette initialement conçue par l’architecte est utilisée amendée par chacun des corps de métier de la construction pour obtenir les informations nécessaires et en retour amendé en fonction de sa propre réalisation. A la fin, la maquette est le double virtuel de l’immeuble, parfaitement identique, devenant un allié précieux dans la maintenance du bâtiment. Les effets sont très conséquents, certaines entreprises sont parvenues à des réductions des coûts de construction jusqu’à 40% sur des centres commerciaux grâce à des productions zéro-défaut permettant d’éviter le travail supplémentaire. Si les principaux distributeurs de solutions BIM sont Autodesk et Graphisoft, de nombreuses entreprises innovantes opèrent sur le segment. En 2015, WeWork, le créateur d’espaces partagés, créé en 2010 et valorisé 5 milliards de dollars, a racheté Case un cabinet de 60 consultants spécialisés dans le BIM afin d’avoir sa propre expertise interne en la matière.
Avant de lancer la construction d’un bâtiment, il y a un certain nombre d’informations à collecter qu’il s’agisse de la taille des bâtiments voisins ou de la topographie du sol. De nouveaux outils de captation apparaissent et promettent des gains de productivité important. On ne peut ne pas citer la technologie Tango de Google qui permet de modéliser un environnement en 3D grâce à la captation d’images en temps réel depuis un périphérique mobile. Concrètement, cet outil permet de situer automatiquement l’environnement autour de lui fournissant des données plus rapides et plus précises. Pour les extérieurs, de nouvelles caméras comme la Leica Geosystem’s Pegasus permettent de scanner l’environnement à près de 80 kilomètres heure. L’utilisation des drones devrait également générer des gains de productivité importants. En amont de la construction d’abord, les études de faisabilité sont encore trop longues et trop couteuses. Pire, elles sont parfois faites par plusieurs acheteurs potentiels en simultané. Une cartographie plus fiable et mise en open source serait de nature à accélérer cette phrase pré-travaux. Ensuite, pendant les travaux, un contrôle de l’avancement du projet par des drones semble être la solution optimale. Ceci est d’autant plus vrai que les constructions sont verticales et difficilement accessibles. Cette solution était initialement réservée aux professionnels mais les particuliers pourraient bénéficier de la baisse du coût des drones pour suivre leurs propres chantiers. A San Francisco la startup Skycatch permet à ses clients de piloter des drones depuis une application, le drone va sur place tout seul et prend des photos pertinentes du chantier. Les photos sont ensuite disponibles sur le site de Skycatch. Enfin, les drones seront utilisés pour certifier conforme les bâtiments à la fin des chantiers. Là encore le temps gagné sera précieux et permettra de diminuer la durée totale d’une opération immobilière.

Les constructeurs

C’est sans nul doute le segment encore le plus épargné par la révolution en cours. La construction reste peu standardisée tant le design des bâtiments est influencé par les cultures locales.
Une partie des gains de productivité réside inévitablement dans une plus grande standardisation et une capacité à diffuser des structures et des modèles de manière plus globale. Elle s’incarne dans les mini-houses – moins de 93 mètres carré – débuté en 1987 par Sarah Susanka et qui a beaucoup progressé ces dernières années. Désormais la standardisation touche les immeubles et permet de produire des modules en usine, ce qui permet d’immenses gains de productivité. Un installateur d’air conditionné chinois Broad Group vient de créer une filiale pour produire des immeubles de manière industrielle. L’entreprise a bâti un immeuble de six étages en un jour pour l’Exposition de Shanghai, l’Ark Hotel de 15 étages en une semaine, la T30 Tower de 30 étages en quinze jours et la Sky Tower de 57 étages en dix-neuf jours. 90% de la structure est produite en usine.
L’impression 3D des bâtiments est une évidence tant les économies de main d’œuvre et le temps gagné sont considérables. Une entreprise chinoise, WinSun, a réussi en 2014 le pari d’imprimer 10 maisons en 24 heures et avec une seule imprimante. En 2015, ils ont renouvelé l’exploit en imprimant un immeuble de quatre étages. La question en suspens est celle des matériaux utilisés par l’imprimante. Initialement il s’agissait d’un mélange de ciment et de déchets de construction faits de béton, de sable et de verre mais la fiabilité d’une telle construction avait fait débat. Depuis les doutes ont été progressivement levés à tel point que l’entreprise chinoise HuaShang Tenda, leader du marché, affirme que les bâtiments qu’elle imprime peuvent résister à des séismes de magnitude 8. En plus de diminuer le coût de revient du bien immobilier, l’impression 3D se veut plus écologique. L’acheminement d’équipements et de matériaux vers les chantiers est en effet optimisé avec cette nouvelle technologie.

Robin Rivaton