La crise du logement sur le continent africain est double. D’une part, le stock de logements est de mauvaise qualité. Par exemple, le raccordement à l’électricité et à l’eau potable n’est pas fiable ce qui entraine gaspillage et propagation des maladies. D’autre part, le stock de logement est insuffisant et des millions d’africains se retrouvent à la rue. Selon le dernier recensement réalisé en 2013[1], 225 millions de personnes vivent dans un bidonville[2] africain, soit environ 50% de la population urbaine du continent. Cette crise qualitative et quantitative s’aggrave car la demande augmente plus vite que l’offre. La croissance démographique couplée à un exode rurale massif (3% de croissance urbaine annuelle selon l’ONU) nécessiterait un effort de construction inédit. Malheureusement, l’offre de logement est par nature rigide (cycle de production très long) et nous verrons que cette rigidité est accentuée en Afrique en raison de l’instabilité politique et économique. Chaque année, la demande insatisfaite se traduit par un phénomène de surpeuplement des logements existants et par l’augmentation du nombre de sans-abris.
Le développement d’un parc de logements sociaux a longtemps été considéré comme la solution la plus efficace pour sortir de ce cercle vicieux qui mine le développement économique du contient. En témoigne le plan annoncé par le président ivoirien Alassane Ouattara en 2012 qui prévoyait la construction de 60,000 logements sociaux par an. Malheureusement, cet objectif est loin d’avoir été atteint car seuls 3,000 logements sociaux sont construits chaque année en Côte d’Ivoire (soit à peine 5% de la cible initiale). Cette politique très interventionniste s’est soldée par un échec en raison d’un manque de financement et d’une accessibilité limitée pour les classes populaires qui en ont le plus besoin. Il en est de même au Cameroun où les maisons sociales (selon la dénomination locale) sont vendues à des prix trop élevés. Il faut compter 30,000 euros pour en être propriétaire alors même que le revenu annuel moyen est de 500 euros[3]. Dans d’autres pays, les logements sociaux sont attribués en priorité aux fonctionnaires et la corruption est forte.
En remplacement ou en complément de ces politiques publiques insuffisantes, seule l’innovation peut résoudre la crise du logement en Afrique. Les entrepreneurs du secteur doivent relever les défis suivants : améliorer l’allocation du capital, construire à coûts réduits et fluidifier le marché de l’achat-vente-location.
Attirer du capital et l’allouer efficacement au secteur immobilier
Le capital est le premier facteur de production de l’immobilier. Aussi, construire plus nécessite davantage de financement et cela passe dans un premier temps par l’attraction d’investisseurs étrangers. Or, ces derniers boudent l’immobilier africain depuis quelques années. Au Niger, qui accueillera en 2019 le grand sommet des chefs d’Etats de l’Union Africaine, la construction de plusieurs hôtels est aujourd’hui à l’arrêt en raison d’un manque de capitaux. Au Nigéria, la dévaluation rapide du naira a fait fuir les investisseurs immobiliers étrangers. Face à ces difficultés, des solutions innovantes sont de nature à rétablir un climat de confiance. Par exemple, la mise en place d’un cadastre sécurisé dans une Blockchain améliore la fiabilité des titres de propriété et évite les mauvaises surprises. En effet, chacun sait que la corruption et le clientélisme sont monnaie courante car le cadastre est aujourd’hui dans la main du pouvoir. L’ONG africaine Bitland s’est appuyée sur une solution Blockchain pour développer un registre de propriété transparent et incorruptible au Ghana et les premiers résultats sont très encourageants. Les capitaux étrangers qui pourraient revenir devront être orientés vers le financement de construction de maisons à bas coûts plutôt que vers le secteur hôtelier qui ne profite pas vraiment aux locaux. De ce point de vue, on ne peut que se féliciter de voir l’Agence Francaise de Développement (AFD) lever des fonds pour LAPO, la première banque « alternative » du continent qui fournit des micro crédits hypothécaires aux africains.
Parallèlement, l’épargne locale peut être mobilisée grâce au Crowdfunding immobilier. Afrikstart, plateforme de financement participatif africaine, a publié en 2016 une étude intitulée « Crowdfunding in Africa ». On y découvre que plus de 10 millions d’euros ont déjà été investis dans des projets immobiliers à travers des plateformes de financement participatif. Ce nouveau canal de financement devrait notamment séduire les membres de la diaspora africaine qui peuvent désormais investir directement et en toute transparence dans des projets immobiliers de leur pays d’origine.
Construire plus vite, moins cher et proprement
Selon un rapport publié par l’économiste Simon Wellay[4], l’Afrique fera face dès 2020 à une demande annuelle de 5 millions de nouveaux logements. Contrainte supplémentaire, le coût de revient de ces logements devra être limité car le pouvoir d’achat moyen restera faible. Malheureusement, en raison d’un manque flagrant d’infrastructures de base et d’une main d’œuvre peu qualifiée, les coûts de construction évoluent défavorablement jusqu’à aujourd’hui alors que l’accès aux matériaux demeure un obstacle majeur.
Là encore, le salut viendra de l’innovation et notamment de la standardisation qui se traduira par la production à grande échelle de logements identiques. Cette nouvelle façon de produire doit permettre une baisse significative des délais et des coûts de construction. De la même manière que la standardisation des biens de consommation durant les 30 Glorieuses, la standardisation des logements favorisera leur démocratisation. Cette révolution est déjà en œuvre en Inde où une filière de l’entreprise TATA a réussi, par la standardisation et l’automatisation des processus de production des logements, à offrir un logement décent pour la somme de 10 000$. Des progrès sont également perceptibles en Afrique. Ainsi, le promoteur ivoirien La Sicogi envisage de créer une unité industrielle de matériaux et une autre de préfabrication de logements. Les entreprises françaises comme LAFARGE, en partenariat avec l’AFD, essayent également de développer des procédés de construction moins coûteux.
Les constructeurs doivent également prendre en considération la problématique environnementale. En effet, ils sont responsable d’une part importante des émissions de gaz à effet de serre (40% en Europe). Une première solution consiste à ériger des maisons à partir de matériaux locaux tels que de la terre et de la paille mélangées. Dans le même temps, il s’agit de rénover les bâtiments existants pour qu’ils soient moins gourmands en énergie et deviennent des smart home. Heureusement, les entreprises et associations locales agissent dans ce sens. C’est le cas de l’organisation TERRA technologies qui rénove des maisons à Dakar depuis 2009 afin de réduire leur consommation énergétique. Certaines deviennent même autosuffisantes grâce à l’installation de panneaux solaires dont les rendements sont évidemment excellents en Afrique. Ces initiatives sont soutenues par les institutions gouvernementales qui souhaitent faire émerger une « conscience écologique » sur le continent. Pour preuve, la COP22 s’est déroulée au Maroc en Novembre 2016.
Faciliter les transactions et la gestion locative des particuliers
Une fois que les biens immobiliers ont été financés, construits puis vendus, il faut s’assurer qu’un marché secondaire fonctionne convenablement. Or, force est de constater que ce n’est pas vraiment le cas dans certains pays africains car les lourdeurs administratives font obstacles à la fluidité du marché. De même, la gestion locative représente souvent une charge pour le propriétaire qui ne bénéficie pas des outils adéquats. Encore une fois, de nouveaux acteurs veulent changer la donne en s’attaquant à ces rigidités. Au Ghana, la startup meQasa se définit comme le Zillow africain en mettant en relation acheteurs et vendeurs mais aussi bailleurs et locataires. La société a levé 500,000$ en 2015 et continue son développement. Au Nigeria, HutBay se positionne sur le même créneau, tout comme HomesAfrica au Rwanda.
Le logement doit devenir une solution plus qu’un problème
Deux scénarios doivent donc être considérés. Soit l’innovation demeure marginale dans le secteur immobilier et le logement restera un problème majeur susceptible de causer des catastrophes environnementales et sanitaires qui pourront aller jusqu’à remettre en cause le développement économique du continent. Soit, scénario plus optimiste, l’innovation s’impose dans le secteur immobilier africain comme la seule réponse durable aux nombreux défis existants. Dans ce second cas, le logement deviendrait la solution à d’autres problèmes dont souffre le continent africain (éducation, santé, etc.). Affaire à suivre.
Antoine Monat et Vincent Pavanello
[1] Un-Habitat, State of The World Cities 2012/2013
[2] Un bidonville est défini comme « une zone urbaine très densément peuplée, caractérisée par un habitat inférieur aux normes et misérable », par les Nations Unies
[3] Cameroun : Pourquoi les logements sociaux ne sont que les propriétés des caciques du pouvoir ?, Camer.be
[4] Mobiliser le secteur privé pour un meilleur accès au logement, Simon Walley